CORPS À LA LOUPE

Zoom sur les polluants organiques, des corps chimiques persistants

L’usage de produits chimiques est fréquent et est devenu habituel dans notre société pour diverses applications. Or, une fois utilisés, certains peuvent s’accumuler dans les milieux et contaminer les êtres vivants. Ces derniers sont alors qualifiés de corps organiques polluants car ils persistent sous forme résiduelle après leur usage.
Main qui tient un bécher
© RephiLe water

Des chercheur·e·s de l’université de Bordeaux ont mis en évidence à travers l’étude « Trace elements and persistent organic pollutants in chicks of 13 seabird species from Antarctica to the subtropics », parue en 2020 dans la revue Environment International, la présence de Produits Organiques Persistants, notamment d’hexachlorobenzene (HCB), dans plus de 70 % des individus d’oiseaux marins étudiés. Est-ce que tous les produits chimiques peuvent persister de la sorte dans l’environnement ? Combien de temps persistent-ils ? Sommes-nous également touchés ? Et quels sont les risques ? Pierre Labadie, directeur de recherche CNRS en chimie organique au laboratoire EPOC, répond à ces questions. 

Certains produits chimiques font partie de la famille moléculaire des Polluants Organiques Persistants (POPs). Les POPs sont un ensemble de substances organiques et obéissent systématiquement à quatre propriétés. Ils sont persistants car extrêmement peu réactifs dans l’environnement, bioaccumulables (absorption qui concentration de substances chimiques de l’environnement dans les tissus des organismes vivants), toxiques et transportables sur de longue distance par voie atmosphérique ou océanique, se propageant très facilement et rapidement à l’échelle globale. Pierre Labadie explique : « Les POPs sont synthétisés de façon intentionnelle ou inintentionnelle. » Ils sont produits pour de multiples usages industriels ou domestiques (peintures, résidus d’incinérations de déchets ou de biomasse…). « Dans tous les cas, ce sont des composés halogénés, c’est-à-dire qui comportent des atomes de chlore, de brome et/ou de fluor », précise le chimiste. Ces atomes forment des liaisons très fortes avec le carbone et sont à l’origine de la persistance des POPs.

Quels sont les risques pour les êtres vivants ?

« C’est toujours difficile d’établir un lien de causalité entre l’exposition et les effets observés mais, ce qui est sûr, c’est que la qualité de l’air est clairement un problème de santé publique parmi d’autres voies d’exposition. » 

Les Polluants Organiques Persistants ont des effets directs sur les êtres vivants. Greenpeace alerte sur ce problème : « allergies, effets cancérigènes, atteinte à la fertilité, perturbation des systèmes nerveux et immunitaire, perturbation du système endocrinien ». En 2017, une étude italienne, dirigée entre autres par Sara Villa, toxicologue à l’université de Milan-Bicocca, a révélé que les ours polaires d’Arctique présentaient des concentrations de POPs cent fois plus importantes que le seuil toléré et mille fois plus pour les oursons. Cette contamination est due à leur alimentation, principalement des êtres vivants infectés par les POPs transportés. « Cela illustre à la fois le caractère global, le caractère bioaccumulable voire bioamplifiable de cette pollution et c’est assez marquant que ces ours polaires qui vivent dans des zones extrêmement éloignées des activités humaines soient fortement contaminés », déplore Pierre Labadie. Cependant, il nuance : « C’est toujours difficile d’établir un lien de causalité entre l’exposition et les effets observés mais, ce qui est sûr, c’est que la qualité de l’air est clairement un problème de santé publique parmi d’autres voies d’exposition. »

Qu’en est-il des décisions internationales ?

La convention de Stockholm, adoptée le 22 mai 2001 dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et mise en vigueur en 2004, vise à protéger la santé des écosystèmes vis à vis des Polluants Organiques Persistants. Les 186 pays signataires s’engagent à réduire voire à éliminer leurs émissions. Originellement constituée de douze composés, la liste ne cesse de s’allonger au fil des années. Aujourd’hui, celle-ci compte 39 POPs, dont 30 interdits à la fabrication, à la commercialisation et à l’usage sur le territoire français. Les produits chimiques deviennent alors un ennemi invisible persistant dans notre environnement et infestant les êtres vivants, et ce des années après leur usage.

Ours blancs sur la banquise
© Brian McMahon

Charlotte Nassoy

  1. Carravieri et al. 2020