Sélectionner

Nous posons le pied sur la planète Sélectionner. Ici, nous allons découvrir comment les corps sont triés, limités et comment ils évoluent en conséquence. Double standard de genre, déformation des corps sous l’effet de standards de beauté, eugénisme et même sélection sexuelle chez les animaux : la sélection des corps a beaucoup de secrets à nous dévoiler !

Souffrir pour être belle :
et pourquoi pas souffrir pour être beau ?

Dans notre société contemporaine, les femmes sont souvent confrontées à des normes et des attentes restrictives qui dictent leur apparence et leur comportement.
« Il faut souffrir pour être belle », une expression bien connue et en apparence anodine, encapsule une série de contraintes imposées aux femmes tout au long de leur vie. Elle sous-entend que la beauté exige des sacrifices, que la douleur physique ou émotionnelle est nécessaire pour atteindre un idéal préétabli. Régimes restrictifs, procédures cosmétiques douloureuses, ou encore routines beauté chronophages, ces attentes omniprésentes créent un fardeau psychologique et physique sur les femmes, renforçant l'idée que leur valeur réside dans leur apparence plutôt que dans leurs compétences, leur intelligence ou leurs réalisations.
Grand-mère coiffant sa petite-fille © Dans mon tiroir et femmes plurielles positivr.fr
« Souffrir pour être belle » est une BD créée par Marine Spaak, alias Dans Mon Tiroir, pour le magazine féministe « Femmes Plurielles ». L’autrice, à travers son expérience et celle des femmes en général, interroge les normes de beauté imposées aux femmes par la société. Au-delà de dénoncer l’impact de ces standards sur la santé physique et mentale, ces planches visent également à comprendre les mécanismes sociologiques et psychologiques qui se cachent derrière. Ce strip illustre bien la notion de double standard, le phénomène qui fait qu’un comportement n’est pas perçu ni jugé de la même manière selon le groupe auquel appartient son auteur·rice (son ethnie, sa religion, son genre…).
Deux paires de jambes © Dans mon tiroir et femmes plurielles positivr.fr
Ce double standard est particulièrement fort dans les attentes de la société vis-à-vis de leur apparence. Pourquoi la pilosité chez les hommes est un symbole de virilité alors qu’elle peut être perçue comme du laisser-aller chez les femmes ? La philosophie et les sciences sociales pointent du doigt l’objectivation ou l’objectification sexuelle qui, dans les sociétés patriarcales, réduit les femmes à leur corps. Elle se manifeste à travers le male gaze, le fait qu’un homme inspecte le corps d’une femme, mais aussi à travers les médias et la publicité.
Femme se regardant dans un miroir © Dans mon tiroir et femmes plurielles - positivr.fr
Au-delà de l'esthétique, les femmes font face à d'autres contraintes tout au long de leur vie. Les attentes sociales concernant leur sexualité, leur rôle dans la famille, au travail et dans la société en général peuvent être oppressantes. La pression d'équilibrer carrière et vie familiale, de satisfaire des normes contradictoires et souvent inatteignables, crée un ensemble complexe de défis auxquels les femmes doivent faire face.

Contraindre les corps

Les femmes girafes

Les femmes du peuple Padaung, surnommées « femmes girafes » par les touristes au Myanmar et en Thaïlande, portent dès l'âge de 5 ans des ornements en fil de laiton autour du cou, des poignets, et des chevilles. Ce fil s'enroule en cerceaux qui seront changés et agrandis au fur et à mesure de la croissance de l’enfant, atteignant parfois un poids de 25 kilos.

Cependant, ces parures peuvent causer des irritations et un inconfort persistant en raison du frottement. Le poids de la tête et de l'ornement repose sur les côtes, provoquant des déformations osseuses. Les côtes se tassent vers le bas, abaissant la hauteur des épaules et permettant aux femmes Padaung de pouvoir allonger leur collier tout au long de leur croissance. En retirant les ornements, elles rencontrent des difficultés temporaires pour maintenir leur tête en place jusqu'à ce que les muscles retrouvent leur activité.

Bien que le terme « femmes girafes » soit basé sur une fausse croyance (ce n'est pas le cou qui s'allonge, mais les épaules qui s'abaissent), cette tradition, dont l'origine reste inconnue, est aujourd'hui perçue comme une vision de la beauté par les femmes de ce peuple.
Deux femmes girafes © MassimilIao Podesta' - Flickr
Le port du corset à la renaissance

La Renaissance donne naissance à un idéal de féminité et des normes de beauté telles que le port du corset, commercialisé pour affiner la taille, dissimuler les bourrelets et rehausser la poitrine. Cet accessoire, vendu comme incontournable, a laissé une empreinte sur la morphologie féminine jusqu'au XXe siècle, continuant d'inspirer les générations actuelles. Le corps humain s’adapte aux contraintes quotidiennes et prolongées, ce qui a conduit à des modifications corporelles dans certaines populations, avec des conséquences comme des organes de tailles différentes ou des malformations osseuses.
Illustration anatomique et corsets © O'Followell, Ludovic (1872-19..) "Le Corset, histoire, médecine, hygiène... étude médicale" 1908.
À cause du corset, les femmes de l’époque commencent à développer notamment des problèmes respiratoires dus à la compression des poumons (provoquant également des malaises) ou encore des problèmes de constipation dus à la compression des intestins. Déformation des côtes, compression des organes, atrophie des muscles…
La contrainte des corps résulte d'influences sociales et historiques. La sélection à l’échelle des sociétés peut amener à des actions de masse discriminatoires lorsqu’elle est guidée par une politique. Génocides, campagnes de stérilisation de masse : la sélection volontaire des populations sert une idéologie qui a fait des millions de morts : l’eugénisme.

Sélection et société : l’exemple de l’eugénisme scandinave

De nombreux drames historiques découlent de l’application de la sélection à nos sociétés. Ici, nous parlerons donc d’eugénisme. Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), l’eugénisme est :

« L’ensemble des recherches (biologiques, génétiques) et des pratiques (morales, sociales) qui ont pour but de déterminer les conditions les plus favorables à la procréation de sujets sains et, par là même, d'améliorer la race humaine. »
Idéologie amenant à des génocides et des campagnes discriminantes, des millions de personnes en ont été victimes. En Suède, une campagne de stérilisation de masse a sévi entre 1934 et 1979. 60 000 personnes ont été stérilisées pendant ces 40 années : personnes diverses jugées inaptes, ou selon les termes employés « étant dans de mauvaises catégories ». Chapitre de l’histoire longtemps caché au sein d’archives gouvernementales, des artistes lèvent le voile sur ce drame.
L'artiste norvégienne Anne-Karin Furunes s’applique à ce devoir de mémoire lourd en émotions au travers de son exposition Of Nordic Archives. Elle retrouva ces portraits dans les fonds d’archives de l’Institut d’Etat pour la biologie raciale, fondée au sein même de l’Université d’Uppsala en 1922. L’objectif de cet institut ? Étudier l’eugénisme et la génétique humaine. Ces portraits robots archivés portaient comme titres « Juifs », « criminels », « handicapés »... L’analyse de ces données avait pour objectif de décider quelles personnes pouvaient avoir des enfants.
Ces portraits portent la froideur de la neutralité de la recherche scientifique guidée par l’eugénisme. Anne-Karin Furunes a réalisé des perforations sur l’ensemble de ces portraits. En effet, ces visages ont existé car une partie de leur humanité leur a été retirée. De la même manière, de la matière a été enlevée aux portraits. Trace d’une pratique atroce sous couvert de science, ces portraits nous montrent les visages et corps des victimes de la sélection, pour ne pas les oublier, ni oublier notre histoire.
Portraits de 8 personnes. Certains fixent l'objectif. Les images sont en noir et blanc.
Portraits © Of Nordic Archives de Anne-Karin Furunes - slate.fr
La sélection des individus pouvant se reproduire n’est cependant pas une pratique exclusivement humaine, même si l’objectif d’extermination l’est bien. Dans le règne animal, nombreuses sont les espèces où le choix du partenaire est déterminé par ses caractéristiques physiques, menant au développement d’apparences ou de comportements surprenants.

Et chez les animaux ? La sélection sexuelle

Contrairement à ce que le principe de sélection naturelle laisserait penser, les caractéristiques morphologiques de certaines espèces ne présentent pas d’avantage pour leur survie : encombrantes, trop visibles, énergivores, elles auraient dû être défavorables aux individus les arborant. Pourtant, ceux-ci ont non seulement survécu, mais aussi transmis ces caractères à leur descendance, au point de les généraliser dans l’espèce. Ce phénomène, expliqué pour la première fois par Charles Darwin en 1859, porte un nom : c’est la sélection sexuelle, c'est-à-dire le choix d’un partenaire en fonction de ses caractères physiques visibles.
Photographie Satyr Tragopan © Francesco Veronesi - Satyr Tragopan Bhutan
C’est souvent lors d’une parade nuptiale que cette sélection sexuelle entre en jeu. Un individu, généralement le mâle, met en évidence les particularités recherchées par les femelles de son espèce. Puisque lesdites particularités présentent un désavantage pour la survie du mâle, son bon état de santé peut indiquer qu’il est vigoureux, et qu’il est donc un partenaire de choix pour se reproduire et avoir une descendance durable.
Tragopan satyra, que l’on peut observer dans cette vidéo, est un phasianidé, c’est-à-dire un cousin des poules, des faisans et des paons, originaire du massif de l’Himalaya. La femelle, visible en début de vidéo, arbore des couleurs ternes qui se confondent facilement avec les broussailles. Cela lui permet d’éviter d’être repérée par les prédateurs. Le mâle, au contraire, présente des couleurs frappantes : plumage noir, points blancs, cou rouge et tête en partie bleue, il est difficile pour lui de se camoufler.
Mais c’est pendant la parade nuptiale que les caractéristiques du tragopan mâle se dévoilent le mieux. En secouant la tête, il fait apparaître deux « cornes » bleues de quelques centimètres de long, lui donnant le nom de « satyre », d’après la créature mythologique. Mais le plus impressionnant est sa bavette bleu électrique ornée de motifs rouges, qu’il déploie en la gorgeant de sang. À son maximum, elle mesure plus d’une dizaine de centimètres de long. Après avoir effectué une danse ponctuée de petits cris, il se déploie sur toute sa hauteur et montre sa taille imposante. Si la femelle est convaincue par les capacités du mâle, elle acceptera de se reproduire avec lui. Ainsi, avec les générations et sur un temps long, les caractères physiques du tragopan se sont accentués suite à un processus de sélection.

Courte vidéo de Satyr tragopan © Jonathan Pointer – Youtube

Sources

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