CES CORPS QUI NOUS ENTOURENT
Zoom sur la phénologie : La bataille silencieuse des arbres
Comment les arbres sont impactés par le changement climatique ? Comment leur « corps » s’adapte-t-il ? Eux ne peuvent pas partir se rafraîchir près des glaciers (ou ce qu’il en reste)… Thomas Caignard s’est penché sur ces questions en étudiant les événements saisonniers des arbres.
Thomas Caignard est chercheur postdoctoral au sein du laboratoire BIOGECO (INRAE – université de Bordeaux). Il s’intéresse particulièrement à la phénologie des arbres : « Ce sont tous les événements saisonniers qui sont associés à un organisme vivant », définit-il. Pour les arbres, cela comprend la période s’étalant du débourrement, c’est-à-dire de la date d’apparition des feuilles, à la coloration et à la chute des feuilles puis des fleurs à la formation des premiers glands jusqu’à la dispersion des graines.
Tous ces événements sont essentiels pour caractériser la fitness de l’arbre. La fitness, aussi appelée la « valeur sélective » d’un individu, est la mesure de la capacité d’un individu à transmettre ses gènes et donc à se reproduire. Nous, humains, allons à la salle de sport pour augmenter notre valeur sélective, c’est-à-dire pour maintenir notre corps et, dans certains cas, montrer à de potentiels partenaires que nous sommes en bonne santé dans l’optique de nous reproduire. Il en va de même, ou presque, pour les arbres. S’ils ne peuvent pas produire de feuilles, ils ne pourront pas survivre et croître convenablement et s’ils ne peuvent pas produire de graines, ils ne pourront pas se reproduire : autrement dit, leur fitness ne sera pas au top de la forme. Or, les variations de températures ont justement des effets sur cette fitness. La phénologie, notamment, est très sensible au changement climatique. C’est pourquoi Thomas s’y intéresse de près. Pour mener ses travaux, Thomas Caignard participe au projet de la forêt expérimentale de l’observatoire de Floirac visant à étudier la réponse des forêts en milieu urbain à la hausse des températures.
Il fait chaud sous la canopée
« Avec l’augmentation des températures, la date de débourrement est plus précoce. […] Pour le chêne, par exemple, un degré d’augmentation des températures équivaut à un décalage de sept jours », commente-t-il. La date de sénescence des feuilles, c’est-à-dire le moment où elles chutent, est quant à elle retardée. Ces deux effets sur la phénologie foliaire permettent aux arbres de croître sur une plus longue durée. Serait-ce enfin une bonne nouvelle concernant le changement climatique ? Thomas balaie d’un revers de main cette douce illusion en ajoutant qu’en revanche, si l’arbre débourre plus tôt en hiver, « il pourrait être exposé à d’autres risques comme des gels tardifs » ce qui mettrait alors sa survie en péril.
De même, l’augmentation des températures favorise la fructification et la croissance mais… à condition qu’il pleuve assez ! Autrement dit, avec les sécheresses qui s’enchaînent, le changement climatique ne sera pas un cadeau pour la reproduction des arbres. Les impacts du changement climatique ne s’arrêtent pas là. Même si les arbres nous semblent inactifs en hiver, ils se livrent en réalité à une bataille contre le gel. Pour cela, ils arrêtent temporairement leur développement afin de protéger les bourgeons qui doivent débourrer au printemps. Thomas Caignard explique : « Pour sortir de cette période, il faut du froid et après du chaud. Donc s’il n’y a pas de froid, ça va un peu tout dérégler. » Il est alors possible de voir des feuilles qui tombent au printemps ou encore des arbres qui fleurissent en automne…
Doit-on dire adieu à nos forêts ?
L’une des solutions pour échapper au changement climatique c’est… la migration ! Certes, les arbres ne se déplacent pas avec des jambes comme dans le Seigneur des anneaux. En revanche, ils peuvent tout de même migrer grâce à la dispersion de leurs graines qui sont transportées par le vent, l’eau ou des animaux. Une espèce peut alors disparaître localement si les conditions ne lui sont plus favorables mais réussir à s’implanter ailleurs si les conditions sont plus prospères.
Une espèce peut également s’adapter au changement climatique, et cela grâce à deux processus : la diversité génétique et la plasticité phénotypique. « Plus la population est diversifiée génétiquement, plus la probabilité que certains génotypes soient adaptés à ces nouvelles conditions environnementales est grande », développe Thomas concernant le premier levier d’adaptation. La plasticité phénotypique serait quant à elle « la capacité d’un génotype à répondre aux variations environnementales […], plus il est plastique, plus il y a des chances qu’il puisse être adapté à des conditions futures variées ». Les forêts ne disparaîtront donc pas, mais elles changeront. Et mieux vaut que vous aimiez les espèces méditerranéennes, telles que le chêne liège ou le chêne vert par exemple, car elles remportent justement la palme d’or de l’adaptation à la sécheresse !
Claire Shigo