Photographie de Paul Lesbats vu de face

© Paul LESBATS

Paul Lesbats

Faire corps contre les rétrovirus

Paul Lesbats est chargé de recherche au CNRS dans le laboratoire MFP (Microbiologie fondamentale et pathogénicité). Au sein de l’équipe MobilVir, il travaille sur la relation hôte-virus avec comme modèle le prototype foamy virus (PFV). Ce rétrovirus est non pathogène pour l’humain et représente un excellent modèle pour les thérapies géniques, une méthode qui permet de se servir du rétrovirus comme vecteur de guérison, et non d’infection.

Dans le dédale de bâtiments qui composent le campus Carreire de l’université de Bordeaux, se joue un ballet de déménageurs. Les portes vitrées du nouveau bâtiment Bordeaux biologie santé s’ouvrent et se ferment au rythme des allers-retours de ses habitants. Tels des fourmis, ils investissent les cinq étages depuis quelques semaines à peine et font connaissance avec leurs nouveaux voisins. Ce merveilleux endroit accueille un florilège d’unités de recherche consacrées au domaine de la santé. Parmi elles, nous rencontrons Paul Lesbats.

Rétrospective d’un rétrovirus

Nous sommes dans les années 80. Paul est enfant et découvre, en même temps que l’humanité, l’existence du sida et du rétrovirus qui en est la cause : le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH). Dans les médias, cette maladie émergente fait la une. Paul, anxieux, grandit en suivant l’évolution du VIH qui causa 40,4 millions de morts entre 1981, le début de l’épidémie, et 2022. L’intérêt que Paul porte à la biologie est entretenu involontairement par son père, professeur de biologie en IUT (Institut Universitaire de Technologie), qui par passion accompagne son fils dans toutes ses réflexions. Influenceur avant l’heure, son père jouera un rôle clé dans les premiers pas que son fils posera non pas sur la lune, mais dans une licence de biologie cellulaire et physiopathologie à l’université de Bordeaux.

Lors de sa première année de licence, son professeur de mathématiques prononcera cette phrase : « Quoi que vous vouliez faire, visez toujours le plus haut ». Paul ne le sait pas encore à ce moment-là mais cette phrase restera ancrée dans sa mémoire et accompagnera ses choix. En se remémorant ses années étudiantes, Paul expose : « On entend beaucoup de remarques qui poussent à l’auto-inhibition des étudiant·e·s voulant s’orienter vers le milieu de la recherche ». Soit disant qu’il n’y a pas beaucoup de places, pas beaucoup de postes ou qu’il faut viser moins haut. Paul bout sur sa chaise en se souvenant de ces phrases et objecte : « Si les choses vous intéressent et que vous en avez envie, allez au bout ! Faites une thèse, un post-doctorat, façonnez votre avenir. Faites le maximum. Ce n’est jamais une perte de temps. »

Photographie de cristaux de protéines microscopiques de forme hexagonale

Cristaux de protéines 

© Dominique SAUTER/Claude SAUTER/IBMC/CNRS Images

Si les choses vous intéressent et que vous en avez envie, allez au bout ! Faites une thèse, un post-doctorat, façonnez votre avenir. Faites le maximum. Ce n’est jamais une perte de temps.

À la croisée des rêves et des renoncements

Après son master en microbiologie et immunologie et un premier stage en virologie, Paul Lesbats s’ouvre au domaine de la recherche et continue sur sa lancée en enchaînant sur un doctorat puis un post-doctorat à Londres. Son but est de réussir à intégrer le CNRS : « Leur stratégie de recrutement est basée sur concours et les places sont chères. Pour maximiser mes chances, je devais apporter une expertise que mon laboratoire d’accueil n’avait pas déjà », souligne-t-il.  Paul choisit donc la biologie structurale et réussit à entrer en post-doctorat dans le laboratoire de Peter Cherepanov à l’institut Francis Crick de Londres. En tant qu’étudiant, il parcourt déjà ses articles et ressent immédiatement l’émotion de pénétrer dans la vie d’une « science-star » qu’il n’avait jusqu’alors connue que par le biais d’articles scientifiques.

De retour sur Bordeaux, il intègre l’équipe MobilVir dirigée par Vincent Parissi, titulaire de la médaille de bronze du CNRS 2013, qui le soutient grandement dans son projet d’intégrer le CNRS. Paul réussit le concours d’entrée, considérant ce succès comme la juste rétribution de ses nombreux efforts et sacrifices.  En 2019, il participe à l’appel à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR) afin d’obtenir les financements nécessaires à la poursuite de sa recherche. Son travail se concentre sur l’interaction entre les rétrovirus et nos cellules. Il examine les protéines produites par les cellules infectées, responsables de la propagation de l’infection dans le corps. Paul cherche à comprendre ce qui se passe lorsque deux protéines interagissent entre elles et quelle est leur structure (grâce à la cristallisation de protéines). Cette étude in vitro servira à approfondir notre compréhension du fonctionnement des rétrovirus pathogènes, tels que le VIH, dans le but de développer des moyens de les neutraliser, bloquant ainsi leur capacité de réplication et freinant le développement de la maladie. En continuant sur cette voie, cette étude permettrait également de développer des thérapies géniques.

Encourager l'incertitude pour révéler l'innovation

Certaines personnes pensent que la recherche est déconnectée de la réalité et que les chercheur·e·s vivent dans une « tour d’ivoire ». Pour Paul : « La science et la recherche doivent avoir une partie qui est déconnectée de ce que la société croit avoir besoin ». Bien évidemment, une partie de la recherche doit être consacrée aux problématiques actuelles mais il faut également que la recherche puisse être libre et que les chercheur·e·s puissent travailler sur le sujet qu’ils souhaitent, « tant qu’ils ont une méthode scientifique qui tient la route », précise-t-il. Pour lui, « les grandes révolutions scientifiques et technologiques sont en grande partie issues de ces recherches déconnectées de la réalité. C’est là qu’on découvre des choses inattendues. »

A l’heure actuelle, en France, les chances de recevoir un soutien financier sont souvent limitées si la pertinence du sujet de recherche n’est pas reconnue comme cruciale dans le contexte actuel. Plusieurs chercheur·e·s ont dénoncé ce fait et c’est également pour cette raison qu’ils sont beaucoup à partir à l’étranger. Paul expose : « Ce n’est pas pour rien que la découverte de CRISPR-Cas9 à été faite par une française mais à l’étranger. D’ailleurs, à titre personnel, je trouve ça bien qu’elle ait exposé ce problème devant les médias. »

Le temps devient précieux lorsqu’on est chercheur·e et c’est d’ailleurs la notion du temps en lui-même que Paul aime déconstruire. La relation entre le macroscopique et le monde quantique l’intrigue au plus haut point, éveillant chez lui des questionnements qui pourtant s’éloignent de son sujet de recherche. « J’aime aller à l’encontre de ce que l’on a toujours pris comme acquis. »

Lou-Anne Cailleau Peoc’h