SOIGNER LES CORPS

Les antipsychotiques, c’est pas automatique ?

Certains traitements, comme les antipsychotiques, peuvent être administrés sous la forme d’injections à action prolongée. Même si cette méthode ne date pas d’hier, elle est encore sujette à débat quant à son utilisation dans un contexte de pénurie de moyens au sein du monde hospitalier.

Pilules médicamenteuse.
© Klara Kulikova - Unsplash

Les antipsychotiques sont mieux connus sous leur ancien nom, « neuroleptiques ». Ils sont administrés aux personnes atteintes de psychoses ou dites « psychotiques ». Sous ce terme nous retrouvons la schizophrénie et les formes graves de bipolarité. Le point commun à ces troubles mentaux est leur caractère obsessionnel : la personne malade souffre de délires, d’hallucinations ou de violences irrépressibles qui sont dus à une vision distordue de la réalité. Les antipsychotiques agissent en ralentissant le psychisme, ce qui permet aux personnes psychotiques de se défaire de leurs obsessions. Comme l’explique très bien Tonya Tartour, maîtresse de conférences en sociologie à Sciences Po Bordeaux et chercheuse au centre Émile Durkheim, ces traitements permettent « d’arrêter le petit vélo qu’on a dans la tête ».

Comme l’immense majorité des traitements médicamenteux, les antipsychotiques peuvent être pris par voie orale, sous la forme de cachets ou d’une solution buvable. Mais depuis les années soixante, il existe une autre manière de les administrer aux patient·e·s : avec des injections à action prolongée. L’action propre à cette forme galénique est parfois comparée à celle de l’implant contraceptif, puisqu’elle agit sur le même principe : la substance active est injectée en une fois et se libère au fur et à mesure dans l’organisme pendant plusieurs semaines. L’avantage de cette technique d’administration est que les malades n’ont pas à prendre eux-mêmes leur traitement, il leur est donné pendant un certain laps de temps de manière « automatique ».

Un moyen de retrouver sa liberté…

Ce système d’injections d’antipsychotiques est présenté comme une « passerelle » aux malades pour pouvoir sortir de l’hôpital psychiatrique afin de retrouver une certaine autonomie et un rythme de vie normal. Cette méthode permet d’assurer aux médecins psychiatres que leur patient·e va recevoir son traitement de manière régulière. Selon Tonya Tartour, la mise en place des injections à action prolongée va de pair avec le manque de confiance qu’ont les médecins envers leur patientèle, particulièrement en psychiatrie. S’assurer de la correcte prise du traitement par une personne atteinte de maladie mentale n’est pas une tâche facile. Même lorsque les patient·e·s en hôpital psychiatrique sont encadré·e·s par le personnel soignant qui se charge de la bonne prise du traitement, il arrive fréquemment que les malades le refusent ou fassent semblant de le prendre.

Personne qui regarde un coucher de soleil.
© Klara Kulikova - Unsplash

…ou de se décharger des malades ?
Une personne qui tient la main d'une personne hospitalisée.
© Jon Tyson - Unsplash

L’explosion de l’administration d’injections à action prolongée d’antipsychotiques est arrivée à la fin des années 90 et 2000, périodes lors desquelles les manques de ressources hospitalières ont commencé à être critiques. Tonya Tartour a étudié ce phénomène, pensant au départ que les injections à action prolongée étaient un moyen pour les médecins de « se débarrasser » des malades pour faire face à la pénurie de places et de personnel soignant au sein des hôpitaux psychiatriques. Lors de ses recherches, la sociologue s’est rendue compte que la réalité était tout autre. Effectivement, ces malades retrouvent davantage de liberté mais sont paradoxalement toujours bien suivis par les soignants. La régularité des injections les oblige à se rendre dans des centres de soins pour les recevoir, ce qui les amène à être proches du personnel soignant et à avoir un accès privilégié aux activités proposées par ces établissements. Finalement, les injections à action prolongée permettent aux malades de retrouver un cadre de vie plus classique tout en continuant leur parcours de soin.



Marthe Cazet