CORPS À LA LOUPE

La face cachée des cellules souches : leur implication dans les leucémies

Les cellules souches hématopoïétiques sont cruciales pour la formation et l’équilibre du système sanguin, mais peuvent aussi causer des leucémies. Catherine Sawai et son équipe explorent leur rôle dans la transformation cancéreuse et la résistance aux traitements, élargissant les horizons de la recherche médicale.
Personne tenant un récipient rond transparent
© Drew Hays - Unsplash

Le système sanguin est généré par les cellules souches hématopoïétiques (CSH), hébergées dans la moelle osseuse. Fascinantes, ces cellules ont deux capacités différentes. Elles peuvent s’auto-renouveler, c’est-à-dire se reproduire pour former de nouvelles cellules souches identiques. Elles peuvent également se différencier en changeant de propriétés pour devenir les cellules spécialisées de notre système sanguin telles que les plaquettes, les globules rouges transportant l’oxygène dans le sang et les globules blancs qui construisent une première réponse immunitaire pour défendre l’organisme des infections.

« Il est important de maintenir un « pool » de cellules souches tout au long de la vie, car elles contribuent au bon fonctionnement du système sanguin », précise Catherine Sawai, chargée de recherche Inserm et cheffe d’équipe à Bordeaux institut of oncology (BRIC). Elle ajoute : « ce pool (ou groupe de cellules souches) évolue, car à chaque fois qu’une cellule se réplique, il est possible qu’elle accumule des mutations. »

Une mutation à l’origine du cancer

Les erreurs de réplication, ou mutations, peuvent affecter le fonctionnement des cellules souches et sont susceptibles d’évoluer vers un cancer du sang : la leucémie. La leucémie myéloïde chronique (LMC) est caractérisée par une mutation particulière appelée « translocation chromosomique ». Un échange s’est produit entre deux chromosomes lors de la réplication de la cellule et de son matériel génétique, créant un nouveau gène de fusion BCR::ABL1 dans la cellule souche générée. Les cellules transformées s’accumulent dans la moelle osseuse, survivant de préférence aux cellules saines. « Ça change complètement la composition cellulaire de la moelle osseuse, impacte le fonctionnement du système sanguin et celui de la réponse immunitaire, poursuit Catherine Sawai. Ces cellules leucémiques vont migrer dans le sang et atteindre d’autres organes hématopoïétiques comme la rate et le foie. » 

Bien que peu prévalentes, les leucémies myéloïdes présentent des particularités liées à l’âge. Les formes chroniques surviennent généralement à partir de 50 ans, tandis que les formes aiguës sont plus fréquentes vers 65 ans. Ces leucémies touchent rarement les enfants et les réponses aux traitements diffèrent alors de celles des adultes en raison de différences cellulaires significatives. Ainsi, la recherche sur ces maladies doit tenir compte des nuances d’âge, soulignant l’importance de personnaliser les approches thérapeutiques.

Une thérapie ciblée et efficace

Il y a une vingtaine d’années, la découverte d’un traitement de la LMC appelé « inhibiteur de tyrosine-kinase (ITK) » a permis de grandes avancées dans la recherche de thérapies ciblées. Des médicaments tels que l’imatinib (Gleevec) sont conçus pour cibler spécifiquement la protéine BCR::ABL1. Ils agissent en se liant à cette protéine, bloquant son activité. Cela a des effets bénéfiques dans le traitement de la maladie : ces ITK ralentissent la division anormale des cellules souches, ce qui contribue à réduire le nombre de cellules leucémiques et leur prolifération. Les symptômes tels que la fatigue, les douleurs osseuses et la splénomégalie (l’augmentation de la taille de la rate) sont réduits. La qualité de vie des patients est améliorée car le traitement est relativement bien toléré. 

 

Cependant, pour la plupart des patients, « ces traitements peuvent maintenir la maladie sous contrôle pendant de nombreuses années mais ne la guérissent pas, remarque Catherine Sawai. Ils provoquent des effets secondaires et doivent être pris à vie en suivant une parfaite observance. » D’autant que certains patients peuvent développer des cellules souches leucémiques résistantes aux traitements ITK.

« Ce que nous voulons comprendre, c’est quelles cellules résistent et comment ? »

Eloïse Meyer

Pour étudier les facteurs de résistance dans la leucémie, la chercheuse a créé un modèle de souris avec des cellules leucémiques marquées par une fluorescence contrôlable. Le traitement par des médicaments a montré des résultats prometteurs pour éliminer la plupart des cellules leucémiques tout en révélant celles qui sont résistantes. Des protocoles similaires à ceux utilisés en clinique sont envisagés pour mieux saisir pourquoi des patients en rémission sont susceptibles, toujours, de rechuter à cause de cellules persistantes. « Ce que nous voulons comprendre, c’est quelles cellules résistent et comment ? »

 

L’équipe du BRIC espère que ses travaux aideront à suivre les changements survenant dans les cellules souches hématopoïétiques au cours de la vie. Identifier les cellules leucémiques résistantes aidera à trouver des traitements qui peuvent guérir. « L’identification de nouvelles stratégies thérapeutiques peut avoir un impact socioéconomique important », appuie Catherine Sawai.