Dépasser

Venez avec moi explorer cette planète pour découvrir des moyens de dépasser les capacités du corps. Comment ? En modifiant les perceptions de son esprit par des substances chimiques, en allant au-delà de ses limites physiques pour les pousser à l'extrême, ou même en utilisant la science et la technologie pour défier les lois de la vie.

L'amanite tue-mouche et les drogues de synthèse

L’ethnomycologie peut être considérée comme une branche de l’ethnobiologie et correspond à l’étude de la place des champignons dans les différentes sociétés humaines. L’amanite tue-mouches, Amanita muscaria en latin, est un champignon rouge à pois blancs utilisé par certaines populations pour dépasser leurs limites physiques et mentales.

C’est une espèce de champignons à la propriété toxique et psychotrope. Le délai entre l’ingestion et l’apparition des symptômes est de 30 minutes à 3 heures. La première phase produit un état de délire et d’euphorie, mais la seconde apporte le sommeil voire le coma.

Amanite tue-mouches © Nick Romanov - Unsplash

L’amanite tue-mouches est qualifiée d’enthéogène dans certaines civilisations, c’est-à-dire une substance psychotrope qui modifie son état de conscience, et utilisée à des fins religieuses, spirituelles ou chamaniques dans un objectif d’introspection.
C’est ce qu’Amélie Barbier, scientifique en anthropologie, est allée vérifier en 2019, chez des habitants d’un petit village de la toundra du Kamtchatka (l’Extrême-Orient russe), qui consomment toujours ce champignon.

Appellé v’apaq, il est considéré comme un génie. Les habitants entretiennent une relation très particulière avec ce champignon en communiquant avec lui.

Molécule de muscimol © Wikipédia

Effectivement, le champignon pourrait voir, entendre et rapporter ce qu’il a vu. La consommation se fait par binôme intergénérationnel ce qui permet de souder les liens générationnels et les habitants racontent que les émotions du cueilleur·euse seront transmises au consommateur·trice, raison pour laquelle, la « chasse » au v’apaq est toujours accompagnée de chants et de danses. Lors de ses hallucinations (mais parfois pendant la cueillette), le champignon peut transmettre des mélodies sans paroles, « rodovaja pesnja ».

Ce chant peut aussi être transmis par filiation, et va permettre de maintenir et de renforcer les relations intergénérationnelles. De la cueillette aux champignons, jusqu’aux procédés de consommation, l’amanite tue-mouches joue un rôle central dans la vie de ses habitant·es, sur un point personnel et communautaire.

L’Amanita muscaria était aussi très populaire de l’époque pré-moderne à la Première Guerre mondiale. Elle était uniquement consommée par les riches, car très chère, mais certains pauvres ont découvert que l’urine des consommateurs·trices contenait aussi des substances hallucinogènes. C’est ainsi que le champignon séché a touché toutes les classes sociales serbes. On la rencontre aussi chez les guerriers serbes puisque le muscimol, principal psychoactif, améliorait leurs performances physiques. Certains contes racontent l’histoire des « guerriers champignons » brutaux et courageux.

Le champignon rouge à pois blancs n’est pas le seul hallucinogène consommé à des fins guerrières. Les amphétamines et la cocaïne étaient « vitales  aux soldats pendant la Première et Seconde Guerre mondiale pour dépasser ses peurs et se jeter sous le feu des balles. La Guerre du Vietnam est quant à elle considérée comme la première guerre pharmacologique de par sa surconsommation de psychoactifs (héroïne, opium, marijuana).

Vestige d'un Benzedrine inhaler de 1940 © Moreton Bay Our Story

Le Benzedrine inhaler était livré par les familles sous forme de kit aux soldats. Ce sont des amphétamines, considérées comme des drogues de combat. ​​Sa consommation permet de se retrouver dans un état d’euphorie intense et d’évacuer tout sentiment de peur.

Il est donc possible de dépasser ses limites en ingérant des substances chimiques. Cependant, il existe aussi des personnes dépassant les performances physiques de leurs corps, au point de donner lieu à de nouvelles limites dans les disciplines sportives extrêmes.

Repousser physiquement les limites du corps

L’incroyable endurance du corps humain continue de prouver que nous n’avons pas encore atteint ses limites. Les athlètes sont de plus en plus nombreux·ses à s’engager dans des courses d’extrême endurance. En août 2021, le lituanien Sania Sorokin, star dans le domaine du trail, a battu le record du monde en courant 309,4 km en 24 heures, ce qui représente à vol d’oiseau un trajet de Bordeaux jusqu’à Nantes.

Image du trailer lituanien Sania Sorokin durant sa course de nuit.
Photographie du traileur lituanien Sania Sorokin durant sa course © Sania Sorokin

Il est bien connu qu’une pratique régulière d’une activité physique est bénéfique pour la santé. Cependant, des études ont démontré que pousser le sport à l’extrême augmente les risques d’accidents cardiovasculaires. Ces efforts physiques sont tels qu’ils peuvent endommager les tissus cardiaques, modifier la physiologie des vaisseaux sanguins dans le cœur, et perturber le message électrique au niveau des nerfs cardiaques. En conséquence, le rythme cardiaque peut présenter des irrégularités, comme des arythmies.

Photo de jambe, d'une personne qui court sur une route
© Alex Kinkate - Pexels

Lors du marathon de Berlin en 2017, une étude a été menée sur 109 marathoniens·nes âgés·es de 35 à 60 ans. L’objectif était de leur faire passer un électrocardiogramme, un test sanguin et une imagerie par résonance magnétique (IRM) après l’épreuve pour détecter d’éventuelles souffrances cardiaques. Les chercheurs ont observé dans leurs résultats « des changements anormaux pour l’électrocardiogramme chez 16,8 % des coureurs et une augmentation des marqueurs sanguins de souffrance cardiaque chez 7,5 % en plus d’enregistrer la présence d’arythmie. »

En définitive, une activité physique régulière est importante pour votre santé. Il faut cependant avoir conscience que pousser à l’extrême et sans un entraînement régulier, le risque potentiel d’accidents cardiovasculaires augmente. Ces accidents restent rares, généralement les sportifs extrêmes d’endurance réalisent une préparation physique par échelon afin de préparer au mieux leurs corps.

Au fil des décennies, l’idée d’améliorer l’être humain pour le rendre plus puissant, plus rapide, et repousser les limites physiques de son corps n’a pas seulement captivé le domaine du sport. Elle captive également l’imaginaire collectif, dans la pop culture et les univers de science-fiction.

Technologiquement

Connaissez-vous ? Inspecteur Gadget, Terminator, Iron Man, Dark Vador, Edward aux mains d’argent… La pop culture regorge d’exemples de cyborgs, des humains greffés de composants mécaniques et électroniques. Ces organismes sont hybrides, à la différence du robot qui est entièrement constitué de pièces artificielles assemblées.

Générique de L’homme qui valait 3 milliards © SciFiMovie Theater – Youtube

Dans les années 1970, la série télévisée « L’homme qui valait trois milliards » est un exemple de cette fascination. L’histoire raconte comment un pilote d’essai et ex-astronaute survit à un accident dévastateur grâce aux avancées scientifiques et technologiques : « Un homme tout juste vivant. Messieurs, nous pouvons le reconstruire. Nous sommes capables de donner naissance au premier homme bionique. Steve Austin deviendra cet homme. Il sera supérieur à ce qu’il était avant l’accident. Le plus fort, le plus rapide, en un mot, le meilleur. »
Plus que réparé, le protagoniste devient surhumain, ses membres défaillants sont remplacés par des prothèses et des systèmes artificiels associant prouesses mécaniques, électroniques et informatiques. L’homme reconstitué peut alors courir à 100 km/h, nager à 65 km/h, sauter à 10 mètres, soulever des charges de 150 kg et voir dans l’obscurité sur des kilomètres.

Que penser du mythe de l’humain augmenté ? Le chercheur en robotique Nathanaël Jarrassé exprimait son point de vue dans un article du CNRS Journal : « Si les mythes ont pu stimuler la créativité des chercheurs, ils envahissent aujourd’hui le champ de la robotique au point qu’il nous faut, en plus de construire des robots toujours plus performants et acceptables, déconstruire les représentations collectives qui entravent une vue juste de ce qui fait notre humanité réelle. »

Homme avec un bras bionique © C. Drouot - ISIR

Quand est-il dans la réalité ? Les neuroprothèses ont réalisé des progrès significatifs : les prothèses de bras myoélectriques permettent des mouvements contrôlés par des contractions musculaires volontaires, mais avec des charges limitées à quelques kilos.
Les interfaces cerveau-ordinateur (BCI) permettent de piloter une prothèse à partir de signaux cérébraux.
Les implants aussi sont développés. Ce sont des dispositifs artificiels intégrés à l’intérieur du corps pouvant pallier un organe déficient ou amputé.

Christophe Huchet a été le pilote de l’équipe française Smart ARM lors de la compétition internationale du Cybathlon 2020, le championnat pour sportifs augmentés. Sa collaboration avec les scientifiques a notamment abouti à de nouveaux algorithmes de commande permettant de rendre l’utilisation de la prothèse plus intuitive pour les personnes amputées au-dessus du coude.

Souhaitons-nous utiliser les avancées scientifiques et technologiques seulement pour « réparer » l’humain (pallier aux handicaps, vaincre les maladies, etc.) ou aussi pour « l’augmenter » (et devenir des « sur-humains », des « transhumains » ou encore des « post-humains ») jusqu’à devenir immortel ?

Se réparer ou s’augmenter ?

Ce fantasme de l’immortalité n’est pas né en même temps que nos sociétés modernes. Preuve en est l’Épopée de Gilgamesh, considérée comme l’une des premières grandes œuvres littéraires de l’histoire humaine. Datant d’environ 2100 avant notre ère, cette épopée mésopotamienne reflète une fascination de l’humanité de transcender la mort, un désir qui continue d’inspirer les mythes, les religions, jusqu’aux explorations scientifiques modernes sur le vieillissement et la longévité qui nous intéressent ici.

La 11e tablette de la version de Ninive de l’Épopée de Gilgamesh, relatant le Déluge © British Museum
Bryan Johnson et son fils avec leur plasma © Bryan Johnson

Cette idée de tromper la mort obsède quelques milliardaires qui font tout pour transformer ce fantasme en réalité, aidés de leur compte en banque sans fond et de leur vision privilégiée du monde. L’un d’eux s’appelle Bryan Johnson, un entrepreneur à succès, qui investit chaque seconde de ses journées dans la santé et la longévité de son corps et de son esprit. Il investit dans des technologies de pointe et participe à des programmes de recherche pour explorer les frontières de la médecine personnalisée et de la bio-ingénierie qui frisent parfois avec le charlatanisme. Pour rajeunir par exemple, l’une des solutions qu’il utilise est de s’injecter le plasma de son propre fils. Une affaire de famille.

C’est aussi une affaire qui questionne l’humanité entière. Même si 99,99 % de la population mondiale n’a pas (encore) accès aux mêmes soins que Bryan Johnson et sa famille, la médecine fait des progrès qui bénéficient, sinon à tous, du moins à une grande partie des êtres humains. Le but n’est pas de devenir immortel, mais de vieillir en bonne santé. Mais est-ce que le vieillissement est une maladie ? Dans son article « Tragédie et enchantement : l’éthique du ralentissement du vieillissement », David Gems, professeur en biogérontologie à la University College London s’interroge sur l’éthique du ralentissement du vieillissement et les implications des traitements qui pourraient prolonger la vie.

Que se passerait-il si nous pouvions toutes et tous vivre en bonne santé jusqu’à 90, 100, 110 ans ? Dans ce qu’il appelle le dilemme du ralentissement du vieillissement, il reconnaît d’une part que cela pourrait réduire significativement les maladies liées à l’âge, un progrès comparable à la découverte des antibiotiques. Mais d’autre part, cela entraînerait une extension substantielle de la durée de la vie et soulèverait donc des questionnements profonds sur l’identité humaine, les différences culturelles et cultuelles ou encore écologiques, technologiques et sociétales.

On peut le voir par exemple dans la mini-série d’anticipation française Ad Vitam réalisée par Thomas Cailley et diffusée sur Arte en 2018. Malgré ce dilemme, le chercheur conclut que les avantages pour la santé liés au ralentissement du vieillissement surpassent les préoccupations liées à l’extension de la durée de vie, vues comme des effets secondaires inévitables, mais surmontables.

Extrait du documentaire « L’homme qui voulait rajeunir » © France TV Washington – Youtube

Sources

L'amanite tue-mouches et les drogues de synthèse

Repousser physiquement les limites du corps

Technologiquement

Se réparer ou s’augmenter ?