Photographie montrant la chercheuse Emmanuelle Thinon, en noir et blanc, qui sourit vers l'objectif.

© IECB

Emmanuelle Thinon

Quand les lipides parlent des protéines

Chercheuse depuis bientôt quinze ans, Emmanuelle Thinon est animée par le désir d’aider les malades. Rattachée au laboratoire CBMN (université de Bordeaux – CNRS – Bordeaux INP) et désormais à la tête de sa propre équipe, elle s’efforce de mieux comprendre les modifications des protéines de notre corps par les lipides. Rencontre avec une scientifique à l’intersection de la chimie et de la biologie.

C’est au cœur d’un bâtiment de ciment gris clair, l’Institut européen de chimie et de biologie (IECB), que nous rencontrons Emmanuelle Thinon, chargée de recherche au CNRS. « L’IECB est un hôtel à projets, pour aider les jeunes chercheurs à lancer leur projet de recherche », glisse la scientifique. C’est là qu’en tant que cheffe d’équipe, elle supervise PalHost, un projet dédié à l’étude des lipides et des protéines.

Du Téléthon à la biochimie

Cela fait presque quinze ans qu’elle est entrée dans le monde de la recherche. « Au lycée, en regardant le Téléthon, je savais que je voulais aider toutes ces personnes », se souvient-elle. Après des études de chimie à l’institut universitaire de technologie de Lyon, elle entre en école d’ingénieur à Strasbourg puis enchaîne avec quatre ans de thèse à l’Imperial College de Londres, toujours en chimie. Les travaux qu’elle y mène ont contribué au développement d’un médicament qui est aujourd’hui en phase d’essais cliniques, une fierté pour elle. Elle quitte ensuite l’Angleterre pour un contrat postdoctoral de trois ans à la Rockefeller University de New-York, puis retourne à Londres, au Francis Crick Institute, pour un autre contrat de deux ans davantage centré sur la biologie. C’est là qu’elle commence à approcher le sujet sur lequel elle se concentre aujourd’hui au sein du laboratoire CBMN (Chimie et biologie des membranes et des nano-objets, université de Bordeaux – CNRS – Bordeaux INP).

Photographie de la visualisation en 3D de la structure de 3 brins d'ADN entourés par des protéines lors d'une recombinaison homologue. La recombinaison homologue est un processus de réparation de l'ADN suite à une cassure de ce dernier.

Visualisation en 3D de la structure de 3 brins d’ADN

© Frédérique PLAS – LBT (CNRS)

Ces modifications sont encore peu connues, mais elles sont impliquées dans de nombreuses maladies.

Lipides et protéines au menu

À l’intersection de la chimie et de la biologie, le projet PalHost étudie la modification des protéines de notre corps, et donc de leur fonction dans les cellules, par la quantité de glucides et de lipides qui les entoure. En effet, les protéines jouent de nombreux rôles essentiels dans notre corps, comme le transport de l’oxygène dans le sang, la structuration de nos muscles ou encore notre défense contre les maladies. Chaque protéine est codée par un gène dans notre ADN et joue un rôle spécifique. Par conséquent, chaque petite modification peut empêcher la protéine d’accomplir sa mission. « Ces modifications sont encore peu connues, mais elles sont impliquées dans de nombreuses maladies », nous explique Emmanuelle Thinon. On observe en effet que, selon que les cellules soient saines ou malades et selon la maladie en question, la quantité de lipides sur les protéines varie grandement. « Notre premier objectif, sur ce projet, est de développer des méthodes fiables pour quantifier ces lipides. » La chercheuse nous présente notamment l’exemple de l’ataxie de Friedreich, une maladie neurodégénérative qui touche une personne sur 30 000 en Europe, due à une modification d’une protéine nommée frataxine. « Nos collaborateurs à Paris, qui étudient la maladie, ont remarqué un changement de la quantité de lipides sur cette protéine », développe-t-elle. Le projet qu’elle porte pourrait donc à terme contribuer au développement d’un traitement agissant sur cette anomalie.

Au cours de notre entretien, elle présente avec clarté des principes de protéomique, l’étude des protéines. Elle explique par exemple en quoi analyser la masse des peptides, les composants des protéines, permet de déterminer la composition d’un échantillon, et donc de percevoir si les protéines ont subi des modifications.

Elle et son équipe mobilisent donc des outils et des manipulations de biochimie, qu’elle décrit en souriant comme étant « tout ce qu’on a vu à la télé pendant la pandémie ». 

Photographie d'une manipulation en biochimie. Il s'agit d'une addition manuelle de réactifs chimiques dans les réacteurs d'un multisynthétiseur. Cet appareil permet de synthétiser des peptides (fragments de protéines) de manière automatisée.

Addition manuelle de réactifs chimiques dans les réacteurs d’un multisynthétiseur.

© Cyril FRESILLON – I2CT (CNRS)

« Une petite communauté bienveillante »

Car, loin de l’idée reçue de la scientifique travaillant seule dans sa tour d’ivoire, Emmanuelle Thinon est bien entourée. L’équipe qu’elle dirige compte notamment une doctorante dont les travaux sont axés spécifiquement sur la quantification des lipides présents sur une protéine donnée. 

Mais au-delà de son équipe, elle appuie sur le nombre important d’échanges avec d’autres groupes de recherche, en France et dans le monde. Chaque année, ils se réunissent alternativement en Angleterre et aux Etats-Unis. « On est environ 80 personnes qui se retrouvent pour échanger des techniques et des résultats », révèle la chercheuse. Elle avoue même se penser chanceuse d’être dans « une petite communauté bienveillante », où des données non publiées peuvent être présentées sans avoir peur qu’elles soient volées. « Mais peut-être que ça n’arrive dans aucun domaine, c’est juste un préjugé », sourit-elle. On en a toutes et tous !

Une figure qui l’inspire dans le monde de la recherche ? Emmanuelle Thinon donne, sans hésitation, le nom de Carolyn Ruth Bertozzi, lauréate du Prix Nobel de Chimie 2022. « Ses sujets de recherche sont proches de ceux que j’ai traités durant mes stages postdoctoraux et c’est une personne que je trouve à la fois sympathique et très charismatique. »

Guilhem Ballion