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CRISPR : couper oui, mais à quel prix ?
CRISPR est une technique de laboratoire de plus en plus utilisée permettant de modifier l’ADN. Mais est-ce éthique de « corriger » ce que nous sommes ? Quelles en sont les limites ? Un retour en arrière est-il possible ? Mélissa Boï, chercheuse en droit, bioéthique et biotechnologies, travaille sur ces questions et apporte des éléments de réponse.
L’ADN, le « texte » de notre vie
L’ADN, qui signifie Acide Désoxyribonucléique, est comme un long ruban à deux bandes présent dans toutes nos cellules. Sur ces bandes se trouvent des lettres, les nucléotides, qui forment des mots, les gènes. Ils servent à coder des actions dans notre corps comme la couleur de nos yeux par exemple. Si ces gènes sont écrits avec les mauvaises lettres, l’individu porteur peut alors développer des maladies génétiques, comme la mucoviscidose.
Imaginons que l’on puisse trouver un moyen de modifier les lettres de notre ADN. Les scientifiques Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont trouvé en 2012 une technique le permettant appelée CRISPR, qui leur a valu un prix Nobel de Chimie en 2020.
Les origines
CRISPR, l’acronyme anglais traduit en français par « Répétitions palindromiques courtes et régulièrement espacées », est comparé à des ciseaux, puisqu’il permet de couper entre deux lettres de l’ADN, mais aussi d’en enlever ou d’en ajouter. Il est donc possible de modifier le texte d’une manière très précise. Mais rendons à César ce qui est à César : ce système d’édition génétique existe naturellement, il est retrouvé dans environ la moitié des génomes bactériens connus et dans près de 90 % de ceux des archées. Il leur permet de se protéger des infections virales en découpant l’ADN de leur ennemi.
Les deux chercheuses ont quant à elles trouvé un moyen de pouvoir reproduire ce système de défense et d’ajouter une ou plusieurs lettres au texte.
La modification du génome face à ses limites
L’édition génétique est un secteur de recherche très contrôlé, puisque l’ADN est à la base du fonctionnement de la vie animale et végétale. La bioéthique est considérée par la chercheuse du Centre Européen de Recherches en droit des Familles, des Assurances, des Personnes et de la Santé de l’université de Bordeaux, Mélissa Boï, comme « le débat avant les lois », ayant pour objectif de contrôler l’application de ces techniques, notamment génétiques, dans le domaine de la biologie et de la médecine. Elle a permis par exemple, en 1997, d’établir la Convention d’Oviedo qui interdit aux pays signataires de réaliser sur l’humain une modification génétique qui se transmettra à sa descendance.
La principale crainte générée par l’édition génétique est d’aboutir une nouvelle fois à de l’eugénisme. Conceptualisé par Francis Galton, cousin de Charles Darwin connu pour sa théorie de l’évolution, l’eugénisme désignait à l’origine l’amélioration de l’espèce humaine sans avoir recours à des actes barbares. Malheureusement, ce concept fut détourné par les politiques allemands à la suite de la Seconde Guerre mondiale pour justifier leurs actes idéologiques. Ces derniers excluaient génétiquement les individus en fonction de la couleur des yeux, de la taille ou d’un handicap, pour supprimer une partie de la population afin « d’améliorer » la société. Les craintes sur CRISPR sont donc, d’après Melissa Boï, dues à l’Histoire et non à la méthode.
Victoire Hernandez
En se basant sur la définition de Francis Galton, l’eugénisme vise à améliorer l’espèce humaine. Pour ce faire, il y a deux moyens : la sélection et l’édition génétique. Actuellement, dans le cadre d’implantations d’embryons pour des projets parentaux, la médecine sélectionne génétiquement les embryons qui ne sont pas malades, ce qui produira la disparition de ce critère après plusieurs générations. « Le critère du handicap, justifie-t-il que l’on supprime l’embryon ? », questionne la chercheuse. Quels malades méritent de ne pas vivre ? Et qui désigner derrière le mot malade ?
Ce génie génétique peut-il mettre en danger l’espèce humaine ? Mélissa Boï apporte quelques éléments de réponses. Des modifications génétiques non voulues peuvent se transmettre sur d’autres organismes vivants par « le saut d’espèce ». Ces modifications peuvent aboutir à une zoonose, phénomène à l’origine de la pandémie du Covid-19. Des modifications faites naturellement peuvent donc dépasser notre contrôle, il pourrait en être de même pour les transformations faites par CRISPR.
Au-delà des dangers biologiques, CRISPR peut également être utilisé à des fins militaires. La chercheuse évoque par exemple des essais américains « cherchant à rendre les soldats résistants à des climats hostiles, de la nourriture non faite pour l’être humain et être plus endurants, […] ce sont des choses qui sont concrètes ». Enfin, la création d’armes biologiques par la modification de virus est aussi possible.
Pour Mélissa Boï, un retour en arrière n’est pas envisageable et ce ne fut historiquement jamais le cas sur les nouvelles technologies, comme pour l’intelligence artificielle. « En aucun cas nous ne sommes revenus en arrière.» C’est pourquoi, la nécessité d’une discussion internationale sur les enjeux bioéthiques du génie génétique est primordiale, pour établir « des critères objectifs partagés par l’ensemble de l’espèce humaine et en tout temps » propose la chercheuse.