CORPS EN SOCIÉTÉ

Contraception : choix éclairé ou orienté ?

Aujourd’hui en France, une douzaine de méthodes de contraception féminine est proposée pour répondre aux besoins de toutes. Cependant, étendre l’offre a-t-il vraiment permis aux femmes¹ de faire un choix ou, au contraire, a-t-il contribué à creuser les inégalités sociales et économiques ?

« La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit », affirmait la campagne nationale lancée par l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) en 2007. Néanmoins, toutes les femmes ne sont pas égales face à l’accès et donc au choix de leur méthode de contraception. En France, la légalisation de la pilule en 1967, après des années de lutte féministe, symbolise la libération de la femme. Pourtant, cette idée, très ancrée dans le corps médical français, amène à la stigmatisation des femmes dont les choix de vie ne correspondent pas à l’image mise en avant par ce combat. Ainsi, celles qui voudraient plus de trois enfants, être mère à 18 ans ou pour qui l’absence de règles, impliquée par certains contraceptifs, est une contrainte, sont parfois incomprises et leurs demandes mal prises en compte.

 

Une mère et son enfant devant schéma d'un utérus.
© Cottonbro studio - Pexels
Contraception, symbole de libération ?

« L’âge et le nombre d’enfant(s) sont les premiers facteurs d’inégalités d’accès à la contraception », affirme Béatrice Jacques, maîtresse de conférences à la faculté de sociologie de Bordeaux et chercheuse au centre Émile Durkheim. Ainsi, les spécialistes de santé ont tendance à automatiquement prescrire la pilule à une jeune fille plutôt que de diriger cette dernière vers la pose d’un stérilet, par exemple, et ce d’autant plus si elle n’a pas d’enfant. Les préjugés sociaux sur les populations les moins éduquées ou d’origine étrangère jouent également un rôle fort. Les professionnel·les de santé poussent ces femmes à adopter une contraception médicale « censée les protéger ». En effet, après une enquête dans des services de protection maternelle et infantile², la chercheuse a pu constater « qu’on sent une pression à penser et à s’engager dans une voie contraceptive dès qu’on sort de la maternité » et parfois même avant l’accouchement.

La crise de la pilule : une période charnière

En 2012, un scandale éclate lorsqu’une jeune française, Marion Larat, porte plainte contre un laboratoire pharmaceutique après avoir fait le lien entre l’AVC survenu à ses 18 ans et la prise d’une pilule de troisième génération. Cette « alerte sur la pilule », comme le titrait le journal Le Monde, fait alors évoluer le modèle contraceptif en France : « Les médecins ont été obligé·e·s d’écouter les Françaises », raconte Béatrice Jacques. Les classes les plus aisées se sont déportées vers le stérilet tandis que les classes populaires, les moins informées sur les autres méthodes de contraception possibles, se sont tournées vers des solutions non médicales. Par ailleurs, suite à cette affaire, la France a choisi d’étendre les lieux de consultation gynécologique en formant les médecins généralistes et les sage-femmes afin de diminuer les inégalités sociales de santé : tout d’abord géographiques, puisque les gynécologues sont plutôt présent·e·s en milieu urbain, mais aussi économiques car certain·e·s d’entre elles·eux pratiquent des dépassements d’honoraires. Il est cependant encore trop tôt pour mesurer l’efficacité de ces politiques. D’ailleurs, Béatrice Jacques participe actuellement à une recherche qui étudie l’évolution de l’offre de santé sexuelle et ses effets sur les professionnel·le·s et les patient·e·s³.

Différents moyens de contraception.
© Reproductive Health Supplies Coalition - Unsplash
Quelles solutions ?

Eléonore Verne

Pour dépasser ces inégalités d’accès à la contraception, la solution la plus concrète selon la chercheuse reste d’écouter les femmes. « Moins on prend en compte les demandes, plus il y a de renoncement », affirme-t-elle. L’éducation sexuelle pourrait également jouer un rôle important en normalisant le partage de la charge contraceptive car aujourd’hui encore, elle est vue comme une affaire de femmes, même au sein de la jeune génération : « On constate peu de contribution économique de la part du partenaire, on en parle peu… »

Une autre piste intéressante serait d’orienter la recherche vers la contraception masculine. Même si des expérimentations sont en cours aujourd’hui, les hommes en sont peu demandeurs, ce qui amène les chercheur·e·s et les industries pharmaceutiques à ne pas investir sur le sujet. De plus, certaines femmes ne sont pas encore prêtes à partager cette responsabilité que ce soit par manque de confiance ou bien car certaines considèrent que donner le contrôle de la contraception aux hommes viendrait à amoindrir les résultats de décennies de lutte féministe.

1. Le terme « femme » désignera ici une personne de sexe biologique féminin

2. Un service de protection maternelle et infantile est « un service départemental […] chargé d’assurer la protection sanitaire de la mère et de l’enfant » (source : drees.solidarites-sante.gouv.fr)

3. “Women’s sexual health in France: supply changes, professional practices and healthcare use – GYMS”, projet dirigé par Q. Roquebert et financé par l’Agence nationale de la recherche. Plus d’informations sur le projet : https://anr.fr/Project-ANR-22-CE41-0007