CES CORPS QUI NOUS ENTOURENT

Biodiversité : des pixels et des ailes

Le suivi des populations d’insectes pollinisateurs est un enjeu majeur pour la protection de l’environnement et de l’alimentation humaine. Pour identifier ces insectes, le projet SPIPOLL fait donc appel aux citoyen.ne.s en leur apprenant en premier lieu à repérer leurs particularités morphologiques. À la clef, de précieuses données.

Les projets de recherche faisant appel à la récolte de données par les citoyen.ne.s se sont multipliés ces dernières années. Permettant d’obtenir une grande quantité d’informations malgré des moyens limités, ils sont un outil incontournable pour suivre l’évolution des populations des espèces étudiées dans l’espace et le temps. C’est ce que fait le SPIPOLL Bordeaux Métropole, sous la direction de Frédéric Revers, chercheur dans le laboratoire Biogeco : en suivant un protocole détaillé et unique, les participant·e·s sont amené·e·s à photographier puis identifier des insectes pollinisateurs grâce à leur apparence.

Du national au local

Lancé en 2010 par le Muséum National d’Histoire Naturelle et l’Office Pour les Insectes et leur Environnement (OPIE), le SPIPOLL, pour Suivi Photographique des Insectes POLLinisateurs, est un programme national qui vise à mieux connaître la diversité et la répartition des insectes pollinisateurs sauvages en France. Quand on pense aux pollinisateurs, c’est Apis mellifera, l’abeille européenne semi-domestique, qui vient la première à l’esprit, mais elle n’est pas la seule. « Il faut savoir que sans tous les insectes sauvages, il n’y aurait dans nos assiettes que des céréales », glisse Frédéric Revers. En effet, l’écrasante majorité des fruits et légumes que nous consommons dépendent de ces animaux pour assurer leur reproduction, et donc notre production alimentaire. Les informations récoltées à travers le SPIPOLL sont donc extrêmement précieuses. « On s’est aperçu que sur Bordeaux Métropole en particulier, on a très peu de données et sans ces données, on ne peut pas dire si les habitats des insectes en ville sont en bon état ou dégradés. » C’est pour pallier ce manque que Frédéric Revers et Frédéric Barraquand ont lancé, en 2022, le SPIPOLL Bordeaux Métropole, dans le cadre du programme Biodiver’Cité de la métropole. « Notre objectif est de mieux faire connaître ce programme et de sensibiliser la population bordelaise à la préservation des insectes pollinisateurs. »

Photographie d'un bourdon fauve en train de butiner
© Frédéric Revers
Photo d'un Polyommatus icarus (une sorte de papillon avec des reflets bleutés sur les ailes) en train de butiner
© Frédéric Revers

Observer les corps pour suivre les espèces

Pour participer au SPIPOLL, le procédé est simple : il faut choisir une espèce de fleur, puis photographier tous les insectes qui se posent sur cette espèce dans une petite zone autour de soi durant 20 minutes. Ensuite, les images sont mises en ligne sur le site, qui demande de répondre à des questions sur l’anatomie et la morphologie de chaque insecte observé. « Est-ce qu’il ressemble plus à un papillon, une mouche, une abeille, un coléoptère ? Ses ailes sont-elles colorées ou plutôt transparentes ? À chaque fois, le site affine la liste des taxons jusqu’à ce qu’on ne puisse plus répondre », explique Frédéric Revers tout en présentant le processus. L’identification proposée est ensuite vérifiée par des scientifiques, mais c’est à l’observateur·rice de faire le changement en cas d’erreur. « À la fin, on a rarement un nom d’espèce précis, mais plus souvent un genre ou une famille, car les détails pour différencier les espèces sont trop fins pour être visibles sur une photo. » Le chercheur observe également que, même si les participant·e·s font quelques erreurs au début, la détermination devient de plus en plus rapide et précise avec l’expérience. En effet, l’observation répétée mène très vite à mieux comprendre la morphologie des différents genres et familles et donc à les identifier plus simplement. « Mais chaque personne, même sans connaissance, peut participer et réussir à déterminer les pollinisateurs qu’elle a vus. »

Un projet sur le temps long

L’équipe cherche aujourd’hui à accroître le nombre de participant·e·s à travers des actions de médiation et communication dans les villes concernées et dans les médias locaux. « Après le point presse en juin, nous avons eu une vingtaine de personnes en plus en quelques semaines », souligne Frédéric Revers.

Si le SPIPOLL Bordeaux Métropole est pour le moment prévu jusqu’à 2026, le chercheur estime qu’il a vocation à durer au moins une dizaine d’années. Il faut selon lui commencer par avoir un nombre suffisant de relevés, répartis sur tout le territoire de la métropole, pour que les données soient exploitables. Par la suite, il faudra continuer ces observations régulièrement pour suivre l’évolution des populations en fonction des aménagements menés pour favoriser la présence des pollinisateurs et face au changement climatique. « Ce qui m’intéresse, c’est de travailler avec toutes ces personnes pour dégager des questionnements et y répondre. L’enjeu majeur, c’est de pouvoir les contacter, motiver et fidéliser. Chez certaines personnes aujourd’hui, le SPIPOLL c’est presque une addiction », sourit le chercheur. Vous serez prévenu·e·s, alors à vos téléphones !

Photo d'une Spaerophoria sp. (ou syrphe) en train de butiner sur une fleur blanche
© Frédéric Revers

Guilhem Ballion