Photo portrait de Annabel Porté, souriante à la montagne.

© Annabel Porté

Annabel Porté

Une vie sous les feuillages

Le ronronnement de la cafetière, le claquement des portes, le murmure de conversations… Au milieu d’une forêt sonore, nous rencontrons Annabel Porté, directeure de recherches à INRAE qui exerce ses fonctions au laboratoire BIOGECO (INRAE –  université de Bordeaux) à Bordeaux. Des arbres en milieu urbain à ceux en berge de rivière, ou encore des arbres invasifs à autochtones, vous l’aurez compris, Annabel a un penchant… pour les arbres.

Annabel Porté travaille sur l’écologie forestière et cherche notamment à comprendre le fonctionnement et la dynamique de croissance ou de survie des arbres en réponse au changement climatique. Elle aime travailler avec les acteur·ice·s de la région afin que ses recherches puissent leur être utiles. Face au changement climatique, quelles espèces d’arbres pourrait-on planter en ville qui feraient de l’ombre tout en résistant à un climat plus sec et plus chaud ? C’est une des questions que se pose Annabel avec les gestionnaires de la ville de Bordeaux depuis 2019. Actuellement, par exemple, elle étudie si le chêne chevelu, qui est la principale espèce de chêne à Bordeaux, est plus adapté que le chêne pédonculé face au changement climatique. 

 

Après la question « Qu’est-ce qu’on plante ? » vient la question « Comment on plante ? ». De plus en plus de micro-forêts voient le jour dans les villes selon une certaine méthode de plantation appelée « Miyawaki ». Annabel Porté s’y est donc intéressée et a notamment participé à l’écriture d’un article dans The Conservation discutant de la pertinence de cette méthode (Porté et al., 2021). Toutefois, « en tant que chercheur·e·s, on étudie les recommandations des gestionnaires et on leur apporte des éléments de réponse mais ce sont eux qui prennent la décision finale », nous confie Annabel.

Le déclic d’Annabel

Est-ce qu’on naît chercheur·e ? Non. Annabel Porté nous avoue : « Je ne voulais pas faire de recherche, je ne savais pas ce que je voulais faire à part que je voulais travailler sur les arbres. » Quel chemin a-t-elle parcouru pour que naisse en elle la volonté de faire de la recherche ? 

 

Tout commence lorsque Annabel réalise sa première semaine de stage, dans le cadre de sa prépa, dans un laboratoire de biologie moléculaire près de Saclay… Un stage qui ne lui a pas du tout plu. « Après ce stage, j’imaginais que la recherche c’était ça : des labos, des micro-pipettes, des gels de migration… Ça ne m’intéressait pas », confesse Annabel. Mais l’avenir lui réserve des surprises.

En 1992, elle entreprend une école d’ingénieur·e·s agronomes à Paris (autrefois nommé INA-PG). C’est lors de son stage en deuxième année que son opinion va changer : « Je suis allée faire un stage à l’INRA (désormais nommé INRAE) de Nancy. J’étais avec une équipe qui travaillait sur l’écologie des forêts en pleine nature et j’ai découvert qu’on pouvait faire de la recherche sans être enfermé dans un laboratoire. Et donc c’est là que j’ai dit : je veux faire ça. »

 

Suite à cette expérience, Annabel change sa spécialité de troisième année d’école pour faire un master en écologie générale à l’Université d’Orsay à Paris. C’est alors le début de sa carrière de chercheure. Elle commence sa première année de thèse à Bordeaux, toujours à l’Université d’Orsay, qu’elle soutiendra en 1999. Durant trois ans, Annabel a ainsi développé un modèle pour prédire la croissance du pin maritime face aux sécheresses dues au changement climatique.

 

Elle voyage ensuite jusqu’au Pays-Bas à l’université d’agriculture de Wageningen pour faire un post-doctorat avant de revenir au bout d’un an en France car elle réussit le concours pour être chercheure à INRA d’Avignon. « Maintenant les jeunes galèrent beaucoup plus parce que les postes permanents sont ouverts de plus en plus tard, ajoute Annabel, moi j’ai eu la voie royale. J’ai eu de la chance. »

 

Elle décide finalement de retourner à Bordeaux en 2003, toujours au sein de l’INRA, pour étudier le comportement envahissant des espèces invasives afin d’aider notamment des gestionnaires à limiter la propagation de certaines de ces espèces ou de prédire leur répartition face aux futures nouvelles conditions climatiques.

Annabel Porté récolte des branches dans le centre-ville de Bordeaux. Crédit : Pauline Colombet

Annabel Porté récolte des branches dans le centre-ville de Bordeaux.

© Pauline Colombet

Pour moi, la photosynthèse est la réaction
la plus magnifique et merveilleuse de cette planète.

Faire corps avec les arbres

Pourquoi étudier les arbres et pas les langoustes de mer ou les superbes pycnogonides (oui personne ne connaît cet animal) ? « J’aime bien les arbres. » Une réponse claire et efficace. « J’aimais les arbres quand j’étais petite, je leur donnais des noms dans le jardin », se remémore Annabel. Mais c’est au lycée que tout a basculé : « En seconde, on a fait une expérience que j’ai trouvée fantastique : on a utilisé une élodée, une petite algue du Canada, qu’on a mis dans un tube rempli d’eau. Puis, quand on lui amenait de la lumière, on voyait augmenter la fréquence des bulles qui sortait de l’élodée grâce à tous les processus photosynthétiques de la plante qui la faisaient dégazer.  Il faut quand même comprendre que c’est la plante qui utilise des composés qui sont inorganiques (des gaz et de l’eau) pour faire de la matière organique ! Pour moi, c’est la réaction la plus magnifique et merveilleuse de cette planète. » Qui aurait pu penser que la photosynthèse puisse être aussi fascinante ?

Annabel Porté réalise des mesures de la phénologie, les événements saisonniers des arbres, des chênes rouges en forêt. Photo de Nastasia Merceron.

Annabel Porté réalise des mesures de la phénologie, des caractéristiques d’événements saisonniers des arbres, des chênes rouges en forêt.

© Nastasia Merceron

Est-ce que les scientifiques passent leur vie à chercher sans jamais trouver ?

C’est ce que semblent penser beaucoup de personnes… et Annabel aussi, à ses débuts : « J’avais peur d’être frustrée parce que je me disais que, quand on est chercheur·e, on n’arrive jamais au bout, on ne trouve jamais la réponse. Et c’est vrai parce que lorsqu’on part d’une grande question, on la décline en plein d’autres questions et toutes ces questions-là on y répond. Donc on n’arrive jamais au bout mais en même temps on arrive toujours au bout. »

 

La curiosité est le maître-mot pour qualifier un·e chercheur·e ! « Il faut avoir envie de comprendre et de trouver des nouvelles réponses en permanence, assure Annabel, quelque chose qu’on sait déjà ne nous intéresse plus. Ma motivation c’est de comprendre et d’amener des nouvelles connaissances qui apporteront des réponses à d’autres personnes. »

Pour aller plus loin :

PORTÉ, Annabel, CASTAGNEYROL, Bastien et PLOMION, Christophe, 2021. Méthode Miyawaki : pourquoi les « microforêts » ne sont pas vraiment des forêts. The Conversation [en ligne]. 24 février 2021. [Consulté le 18 novembre 2023]. Disponible à l’adresse : http://theconversation.com/methode-miyawaki-pourquoi-les-microforets-ne-sont-pas-vraiment-des-forets-155091

 

Le conseil plein d’espoir de Annabel : « Il faut faire ce qu’on a envie de faire car on n’est jamais meilleur·e que là où on a envie d’être. »