Photographie Alina Surubaru

© Alina Surubaru

Alina Surubaru

C’est sur le campus Victoire à l’université de Bordeaux que nous sommes parties à la rencontre d’Alina Surubaru, maîtresse de conférence en sociologie au centre Emile Durkheim (CNRS, université de Bordeaux, Sciences Po Bordeaux) depuis 2014. En 2019, elle et son équipe se sont vu attribuer un financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour le programme de recherche « Predict-Op : Un marché à risque ? L’émergence de la maintenance prédictive militaire en France ». Partons à la rencontre de cette chercheuse passionnée par la sociologie. 

D’origine roumaine, Alina Surubaru est arrivée en France en 2000 afin d’y effectuer un Erasmus, programme d’échange d’étudiants et d’enseignants entre les universités, les grandes écoles européennes et des établissements d’enseignement à travers le monde entier. En effet, après deux années de licence en science politique effectuées en Roumanie, elle avait le désir de rejoindre la capitale française pour sa dernière année de licence. L’année passée à Paris a été une véritable révélation pour Alina, qu’elle décrit comme une « bifurcation » dans son parcours professionnel : il lui paraissait évident d’effectuer son master en France. C’est ainsi qu’elle effectue un diplôme d’études approfondies en action publique à la Sorbonne puis une thèse de doctorat en sciences sociales à l’École Normale Supérieure. En lien avec ses origines, sa thèse a porté sur La fragilité des liens marchands, sociologie de la sous-traitance internationale avec une enquête menée auprès des producteurs roumains de l’habillement. Il s’en est suivi une multitude de post-doctorats et contrats lui permettant d’exercer ce qu’elle aime : la recherche en sociologie.

Obtenir un financement ANR, c’est un plus, car ça permet une stabilité financière pour le projet, mais ça permet aussi d’obtenir une certaine légitimité surtout pour un domaine comme le mien.

« Armer les esprits, souder les corps »

En 2012, Alina est recrutée par la chaire industrielle RESOH (Recherche en Sécurité, Organisation, Hommes), financée par d’importants groupes du secteur nucléaire. Elle y exerce des activités de socio-économie, tout en conservant un intérêt prononcé pour la sociologie. Certaines de ses missions sur le terrain se sont déroulées à Cherbourg, où elle a exploré des sites liés aux sous-marins nucléaires. Au cours de ces déplacements, elle a eu l’opportunité de rencontrer la Direction Générale de l’Armement (DGA), une rencontre qui a particulièrement éveillé sa curiosité. « Ça m’interpellait : qu’est-ce qu’un sous-marin, comment on organise les chantiers de construction, de démantèlement, qui est ce qui gère toutes ces questions de sûreté nucléaire… » raconte Alina Surubaru. Lorsqu’elle a été recrutée à Bordeaux, elle souhaitait continuer de travailler dans le secteur des sous-marins, toujours très intéressée par les problématiques des liens entre les traitants et les sous-traitants : « Dans le secteur du nucléaire, on est dans un cadre très différent du secteur du textile où humainement ça crée des relations particulières et où l’opportunisme est tout à fait accepté et acceptable » explique-t-elle. Cependant, Bordeaux n’étant pas le lieu d’activité des sous-marins mais plutôt des avions militaires, ses investigations se sont concentrées principalement sur la recherche liée aux contrats de maintenance de ces aéronefs. A son arrivée à Bordeaux, elle a obtenu deux financements significatifs, l’un au niveau régional et l’autre de l’ANR. Son projet « jeune chercheur » pour l’ANR se concentre sur la réparation prédictive, c’est-à-dire persuader le client de la nécessité de remplacer ou réparer une pièce en raison de son potentiel risque de dysfonctionnement dans un futur proche. Ce qui distingue son projet et le rend particulièrement enrichissant, c’est que la plupart de ses collaborateurs sont des étudiants, notamment des post-doctorants, des doctorants et des stagiaires de niveau master 2. Ce sont ces collaborations qui ont notamment permis à sa recherche de prendre un tournant en déplaçant son focus. En plus de l’étude des marchés, elle s’intéresse désormais au « réseau d’amitié » au sein du milieu de l’armement : étudier la cohésion du corps militaire, la cohésion du milieu. Enfin, concernant son obtention d’un financement ANR, Alina conclue :

 

« Obtenir un financement ANR, c’est un plus, car ça permet une stabilité financière pour le projet, mais ça permet aussi d’obtenir une certaine légitimité surtout pour un domaine comme le mien ». 

Photo prise en Corée du Sud lors d’une mission de terrain IHEDN en mai 2023.

© Alina Surubaru

Alina Surubaru et son équipe au salon Salon du Big data à Paris en septembre 2020.

Alina Surubaru et son équipe au salon Salon du Big data à Paris en septembre 2020.

© Alina Surubaru

Dépasser les préjugés sur les militaires : Au-delà des apparences, une réalité complexe.

Afin de conclure notre échange, nous avons souhaité discuter d’un préjugé qu’Alina souhaitait déconstruire. Dans le cadre de sa recherche, la chercheuse a choisi de nous parler du corps militaire qui est souvent associé à l’image d’un soldat rampant dans la boue ou infligeant la mort à un ennemi perçu. Contrairement à ce que l’on pourrait penser « il est étonnant de faire comprendre que le corps militaire ne se limite pas aux actes physiques de combat » explique Alina. Il englobe toute une gamme de professions contribuant à son existence. Le corps militaire, en particulier dans le milieu de l’armement, représente un ensemble hétérogène de personnes, comprenant des personnels civils et des personnels militaires. Il est donc en réalité caractérisé par une division importante du travail. Cela entraîne une certaine invisibilisation des réalités et des conséquences des actions du corps militaire.

L’objet qui résumerait sa recherche, serait le téléphone et en particulier les applications conversationnelles. Car si la recherche scientifique avance c’est avant tout grâce à la collaboration. Communiquer digitalement permet de concrétiser la sociabilité et créer une cohésion entre scientifiques à travers des échanges quotidiens visant à renforcer les liens. Échanger permet de « faire corps » complète Alina.

Léna Quartermaine